Comment vous parler des galettes sans vous parler de mon rapport au blé noir et à la galette?
Une histoire familiale, culturelle et "agrobio-généalogique"
Avec la reprise de la ferme, j'ai la chance de pouvoir côtoyer des personnes d'un certain âge à qui je demande souvent des histoires de cultivateurs ou de coutumes anciennes. En premier lieu, il y a Paulette, maman d'Alain qui m'a cédé la ferme. 96 ans, elle a vécu pratiquement toute sa vie dans cette ferme. Au-delà de son grand âge et qu'elle est vu un certain nombre de choses (les guerres, l'électrification de la ferme, la machine à traire, les tracteurs etc...) elle m'a expliqué qu'étant plus jeune, elle faisait elle même la galette pour toute la famille une fois par semaine et qu'il en était consommé tous les jours de la semaine.
Ce témoignage est corroboré par mon père et mes oncles et tantes qui m'ont plusieurs fois raconté la même histoire avec mon arrière grand-mère qui tous les vendredis assurait leur gourmandise.
En parlant de gourmandise, ma première expérience de production des galettes et des crêpes, c'est passée chez mon oncle et ma tante dans leur crêperie "la Gourmandise" à Saint-Jacques lorsqu'ils en étaient encore aux commandes.
Depuis j'ai fait mon petit bonhomme de chemin dans le monde de la galette à travers différentes expériences en Bretagne, en France et à l'étranger.
Ca me plait aujourd'hui, de trouver du sens à travers ces différentes activités et témoignages et de pouvoir proposer un produit qui en plus d'être bon, est en cohésion avec l'agriculture telle que je la conçois, respecte nos exigences, notre intelligence et notre culture.
Le blé noir
Le blé noir fait partie de la famille des polygonacées au même titre que le rumex, la rhubarbe ou encore l'oseille. C'est une culture d'été, mellifère, "Les ruchers de Rennes" à Gevezé me mettent à disposition une quarantaines de ruches sur la ferme pour la pollinisation, et pour produire un miel très savoureux.
Cette plante apprécie les sols au PH acide, et elle n'ai pas gourmande en fertilisation. Les champs en fleurs de couleurs blanches sont une merveille pour les yeux, mais on en voit malheureusement pas assez.
D'un point de vue agronomique, c'est une plante nettoyante, bon précédent pour les céréales et laissant un sol meuble et facile à travailler.
Très fréquentes dans les assolements à partir du 15eme et 16e siècle en Bretagne et Normandie, elle est originaire du Sichuan en Chine et s'est imposée dans nos assiettes bretonnes au fil du temps. Avec un terroir propice comme celui des sols bretons, le blé noir ou sarrasin est devenu un élément incontournable de notre gastronomie. Autrefois plat des pauvres et des paysans, la surface consacrée en Ille-et-Vilaine était estimée entre 70 000 et105 000 hectares contre un grand maximum de 10 000 aujourd'hui en Bretagne. En parallèle, l'essor culturel de la galette au sarrasin n'a cessé de croître et le nombre de crêperies à exploser au cours des 50 dernières années en Bretagne, en France et dans le monde pour en faire un produit made in Bretagne, vitrine de notre région.
Oui, mais avec quel blé noir sont faites les galettes?
70% du blé noir consommé en Bretagne provient de l'étranger. La Chine, la Russie et le Canada en sont les premiers exportateurs.
Pourquoi cette culture est devenu à ce point insignifiante en Bretagne?
Cette diminution s'explique par plusieurs raisons :
- Un développement de la fertilisation chimique permettant de meilleur rendement sur les céréales comme le blé autrefois minoritaire dans les rotations
- Les contraintes de travail: d'abord fauché, il faut le faire sécher au champ, puis le battre etc... pour des rendements parfois médiocres ou en tous les cas, très aléatoires ... mais certains :)
- Le développement des plantes sarclées comme la pomme de terre, les techniques de binages, le développement de l'élevage et de la culture du maïs
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Des avantages non négligeables
Au moyen-âge, disettes et famines sont récurrentes, surtout dans les modèles agraires spécialisés. Les populations qui s'en sortent le mieux sont celles qui diversifient leur régime alimentaire. Le blé noir s'impose ainsi puisqu'il excelle en culture de rattrapage. Je peux en témoigner suite à l'hiver 2019-2020, ou les céréales d'hiver ( blé, triticale) ont été asphyxiées par les pluies diluviennes. J'ai été obligé de recultiver certaines parcelles au printemps dans lesquelles j'ai semé ma propre semence de sarrasin, ce qui m'a permis de faire une récolte correcte et " de sauver mon année".
Les qualités organoleptiques font du sarrasin une plante très intéressante d'un point de vue nutritionnel : de nombreux anti-oxydants, des protéines en présence équivalente à du blé complet ou du quinoa, très riche en magnésium, possédant de nombreux acides aminés et plein d'autres minéraux et vitamines, il convient particulièrement au régime sans gluten, aux personnes souffrant du diabète et à tous les autres gourmands.
Ces informations sont non exhaustives et pour les personnes les plus intéressées, je vous invite à consulter la thèse du docteur en histoire Alain-Gilles Chaussat, qui a réalisé un travail considérable sur cette culture dans tous les sens du terme en Normandie mais aussi en Bretagne.
Intitulé de la thèse : Les populations du Massif armoricain au crible du sarrasin. Etude d'un marqueur culturel du Bocage normand (XVI-XX siècle)